On le sait, Département du Pas-de-Calais aborde 2025 le cœur et les cordons de la bourse serrés. «Tous les départements de France disent que la situation est critique, clame Jean-Claude Leroy. Une asphyxie généralisée provoquée par le projet de loi de finances 2025 qui demande aux départements une contribution de 2,2 milliards d’euros.» Et le Département du Pas-de-Calais, malgré une gestion rigoureuse «est dans l’obligation de réaliser au moins 67 millions d’économies pour équilibrer son budget 2025», poursuit son président. La résignation n’est pourtant pas de mise. Le Premier ministre Michel Barnier a promis d’alléger de façon «significative» l’effort d’économies demandé aux départements en déclarant : «Le département, c’est l’échelle du concret, l’échelle où se prennent les décisions qui comptent pour les gens».
Jean-Claude Leroy ne peut qu’approuver : « Le Département du Pas-de-Calais, c’est le quotidien de tout le monde »
Une interview de Jean-Claude Leroy, Président du Département, en avant-première de la parution de L'Echo 62 en décembre prochain...
Le Département du Pas-de-Calais n’échappe donc pas à l’asphyxie budgétaire ?
Jean-Claude Leroy : L’absence de compensation financière suffisante de la part de l’État pour les AIS - Allocations individuelles de solidarité – impacte fortement notre budget. Les AIS, c’est l’APA (Allocation personnalisée d'autonomie) pour la dépendance des personnes âgées, c’est la PCH (Prestation de compensation du handicap) pour celles en situation de handicap et c’est le RSA (Revenu de solidarité active). Les AIS sont versées aux bénéficiaires par le Département pour le compte de l’État au nom de la solidarité nationale. Les Départements devaient être compensés par l’État sur la base des dépenses des AIS de 2004. Mais plus le nombre de bénéficiaires augmente, plus il est difficile pour le Département de financer le reste à charge. Ainsi en 2023, la part de l’État est de 33 % pour l’APA, 36 % pour la PCH et 63 % pour le RSA. Il reste 244 millions d’euros à la charge du Département. Une augmentation de 26 millions en 5 ans. En 2024, avec une hausse du nombre de bénéficiaires de l’APA et de la PCH (on note une baisse pour le RSA), les dépenses des AIS font un bond de 33 millions. À l’absence de compensation financière, il faut ajouter les surcoûts liés à l’inflation, des solutions nouvelles pour l’enfance et pour le Service départemental d’incendie et de secours, l’augmentation du point d’indice et des primes du secteur médico-social.
Trop de social pour le Département ?
Le bien-fondé des dépenses liées aux AIS ne souffre d’aucune contestation. Quand on les énumère : l’APA, la PCH, c’est du bon social ! On ne peut pas laisser en plan les enfants de l’Aide sociale à l’enfance (7 000 enfants et dans le Pas-de-Calais on s’occupe des majeurs qui quittent l’ASE, il n’y a pas de rupture), les gosses souffrant de maltraitance. On ne peut laisser en plan les bénéficiaires du RSA : aujourd’hui plus de 50 % d’entre eux sont des femmes seules avec enfant. Concernant le RSA, nous avons créé en 2009 la Mission insertion par l’emploi dont le travail porte ses fruits. Nous avons récemment mis à l’honneur notre 10 000e retour à l’emploi. Dans le domaine des solidarités, le rôle du Département est irremplaçable. Réceptacle de toutes les souffrances, il est un amortisseur social.
Le Département est-il totalement dépendant des dotations de l’État ?
Depuis 2021, le Département ne perçoit plus aucun impôt direct (suppression de la taxe d’habitation entre autres). Il n’y a donc plus de lien direct avec le territoire ni possibilité d’adapter les recettes. En compensation, le Département perçoit deux parts issues de la TVA, mais les recettes restent aléatoires en fonction de la consommation des ménages. La seule taxe rémunératrice pour le Département reste la part des frais de notaire perçue lors de la vente d’un bien immobilier : les DMTO, droits de mutation à titre onéreux. Mais la crise immobilière entraîne une perte importante de ressources. Donc, les recettes directes n’existent plus ou sont en baisse et là-dessus la DGF, Dotation globale de fonctionnement, versée par l’État, baisse elle aussi, de plus d’un million chaque année ! Lors des Assises des Départements de France en novembre dernier, le Premier ministre a proposé de relever de 0,5 % le plafond des droits de mutation à titre onéreux pour une période de trois ans ; de revenir «au moins» sur le caractère rétroactif de la baisse du taux du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; de rehausser en 2025 les concours versés par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie à une hauteur de 200 millions d’euros, avant un travail sur les niveaux de compensation de ces prestations pour les deux prochaines années… Michel Barnier a aussi annoncé la création, début 2025, d’une instance de pilotage partagée entre l’État et les Départements qui actera les grandes décisions. Il a évoqué une cinquantaine de propositions comme l’allocation sociale unique ou encore un livret d’épargne industrielle. Ce sont des effets d’annonce, mais le compte n’y est pas. Dans le Pas-de-Calais nous attendons la fin du débat parlementaire sur le projet de loi de finances 2025 et donc la loi définitive avant de juger si l’asphyxie financière redoutée pourra effectivement être freinée. Il faut repenser tout le système. Si nous assumons les politiques de solidarité, il serait logique par exemple de percevoir une partie de la CSG (prélèvement social qui contribue au financement de la protection sociale). Je pense aussi à une loi «grand âge» ; s’assurer contre le risque «dépendance» : il faut que ça devienne un droit qui relève de la Sécurité sociale. Du côté des compensations de la part de l’État, on pourrait introduire des critères liés à l’indice de pauvreté, aux indicateurs de santé. Un nouvel acte de la décentralisation paraît indispensable.
Comment se présente le budget 2025 du Département du Pas-de-Calais ?
L’effort à fournir pour passer 2025 est considérable. Quand les temps sont difficiles, il faut se serrer les coudes, ne pas diviser les gens, agir dans la transparence, la sincérité et l’humanité. Nos recettes, issues des dotations de l’État, ne suffiront pas à couvrir des dépenses en majeure partie incompressibles. Il faut aussi rembourser les emprunts d’où la nécessité de dégager une épargne brute suffisante pour voter le budget en équilibre réel. Et contrairement aux années précédentes, il ne sera pas possible d’utiliser les excédents de la section de fonctionnement. Avec une hypothèse de croissance de recettes de + 2,5 %, le niveau de recettes attendues s’établirait à 1,840 milliard d’euros en 2025. Pour atteindre l’objectif d’épargne brute de 90 millions d’euros, nos dépenses de fonctionnement devront être plafonnées à 1,750 milliard d’euros. Cet objectif correspond à une baisse de 4 % par rapport aux prévisions de dépenses 2024. Il faudra réaliser, a minima, 67 millions d’euros de dépenses en moins, rien que pour la section de fonctionnement. 67 millions, cela correspond à deux années de budget consacré à la culture, au sport, à la jeunesse et à la vie associative. 67 millions, c’est presque une année de budget attribué au SDIS. 67 millions, c’est la reconstruction de deux collèges et demi. Le débat d’orientation budgétaire aura lieu le 27 janvier 2025 et le vote du budget 2025 le 24 mars suivant.
Quelles seront les conséquences sur l’investissement ? Quelles conséquences pour les partenaires du Département ?
On essaie de réduire la voilure. On ne remet pas en cause nos politiques. Par la force des choses, le niveau d’investissement du Département sera moins important que ces trois dernières années, il sera autour de 170 millions d’euros. Cette somme est utilisée pour nos routes, nos collèges…, pour aider nos partenaires à travers des programmations et des appels à projets (Farda, etc.). Cela aura des conséquences sur les chantiers mis en œuvre par le Département et donc sur l’emploi. Le principe de réalité s’impose et nos partenaires le comprennent bien. Il sera aussi nécessaire d’analyser nos dépenses de fonctionnement, y compris sur nos politiques volontaristes afin de dégager les marges de manœuvre nécessaires. Nous voulons sauvegarder l’essentiel, notamment maintenir le cap pour la jeunesse, l’éducation. Le monde culturel doit souffrir le moins possible.
Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Je le répète : le Département c’est le quotidien de tout le monde. Nous finançons le Service départemental d’incendie et de secours (63 % de son budget de fonctionnement), nous soutenons nos aînés, nous soutenons les personnes les plus fragiles, nous déployons la fibre, nous soutenons le monde rural qui souffre d’un sentiment de déclassement… Les collèges, les routes, c’est nous ! Si le Département est en danger, la vie quotidienne de ses habitants risque d’en souffrir. J’avais coutume de dire ‘ici on ne fait pas de bruit, mais on fait le boulot’, aujourd’hui, ça suffit ! Nous ne sommes plus identifiés, il est grand temps de dire haut et fort que nous sommes les piliers de l’action publique de proximité qui préserve l’équilibre des territoires. Depuis des décennies nous pallions les conséquences du retrait et de la dispersion de l’action de l’État. Nous ne voulons plus encaisser les coups. Ça suffit.